Par Maître Dogen
1. Un jour, une personne étrangère à la communauté vint voir Shakyamuni et lui demanda : « je ne cherche pas la bonne parole comme je ne recherche pas à m’y soustraire. » Assis sur son siège, Shakyamuni resta silencieux. Après quelques instants, le questionnant se prosterna devant lui et lui dit : « votre commisération et votre enseignement m’ont permis de me libérer de toutes mes méprises et de comprendre ce qu’est cette Voie que vous enseignez. » A nouveau, il se prosterna devant Shakyamuni, se leva et partit. Après son départ, le Vénérable Ananda demanda au Bouddha : « qu’a-t-il bien pu comprendre de si essentiel pour qu’il adhère à la Voie et qu’il vous respecte de la sorte ? » Shakyamuni lui répondit : « un bon cheval s’exécute à la seule vue de l’ombre d’une cravache. »
2. Depuis que Bodhidharma est venu en Chine, un grand nombre de Maîtres s’en sont inspirés pour enseigner la pratique à leurs disciples. Certains ont besoin de beaucoup de temps pour comprendre, d’autres y parviennent très rapidement. Ce dialogue entre l’étranger de la communauté et Bouddha est devenu un classique (1) . Shakyamuni a utilisé à la fois le silence et le discours pour enseigner la Voie. Ceux qui parviennent à la compréhension soit par l’un soit par l’autre et ceux qui y parviennent par leur propre perspicacité peuvent être comparés à ce cheval qui s’exécute à la seule vue de l’ombre de la cravache.
3. Le Patriarche Nāgārjuna disait : « ceux qui viennent à la pratique après avoir entendu l’enseignement de la Voie peuvent être comparés à un bon cheval qui prendrait la bonne direction en apercevant l’ombre de la cravache du cavalier ». Lorsque nous avons le privilège de suivre l’enseignement d’un Maître, tous les phénomènes œuvrent comme l’ombre d’une cravache nous menant à la pratique, ainsi ceux qui sont empêtrés dans leurs conceptions erronées de la Voie peuvent aussi être touchés. Certains perçoivent l’ombre immédiatement, alors que d’autres ont besoins d’innombrables kalpas. L’important est que tous y parviennent.
4. Dans le Samyukt āgama soutra (2) , il est écrit que Bouddha aurait dit à une assemblée de moines : – Il y a quatre types de cheval. Le premier s’exécute sans crainte à la seule vue de l’ombre de la cravache. Le second s’exécute seulement quand il sent la cravache sur ses poils. Le troisième quand la cravache-lui marque la chair et le quatrième quand la cravache lui pénètre les os. Le premier cheval est comparable à un homme qui prend conscience de la non_permanence (3) lorsqu’il apprend la mort survenue dans un autre village. Le second est comparable à celui qui en prend conscience lorsque la mort survient dans son village. Le troisième est comparable à l’homme qui en prend conscience quand la mort surprend un membre de sa famille et le quatrième est comparable à l’homme qui en prend conscience seulement quand sa propre mort est éminente. (4)
5. Voilà, c’est l’histoire des quatre chevaux contenus dans cette āgama. Vous devriez l’étudier, elle contient les paroles des Maîtres véritables et des Patriarches. Si nous ne comprenons pas l’enseignement qu’elle contient, nous ne serons jamais de bons conseils et encore moins des guides spirituels. L’expérience de la pratique nous fait percevoir l’importance de cette histoire et ceux qui ne pratiquent pas n’y verront aucun intérêt. Les Maîtres devraient expliquer à leurs disciples le sens de ces propos sans trop tarder, afin qu’ils les étudient. Dans ce récit, Bouddha décrit, en quelques mots, comment la non_permanence est appréhendée. Certains éprouvent de la crainte, d’autres ressentent de la joie ou de l’aversion ou pour d’autres leurs doutes s’estompent. Nos appréhensions de la non_permanence dépendent de notre degré de compréhension (5).
6. Dans le Maha-paranirvana soūtra (6), il est écrit que le Bouddha aurait dit : « il y a quatre façons de conduire un cheval. La première par le contact avec ses poils, la seconde par le simple contact du corps, la troisième par le contact avec sa chair et la quatrième par le contact avec ses os. » Bouddha, lui aussi, a utilisé quatre approches différentes pour enseigner la Voie. En premier lieu, il a enseigné le principe de la naissance. On peut comparer cette approche à celle du cavalier dirigeant son cheval par le contact de ses poils. Puis il a enseigné le principe du vieillissement. Cette deuxième approche est comparable au cavalier dirigeant son cheval par le contact de sa peau. Dans un troisième temps, il a enseigné le principe de la maladie. C’est comparable au cavalier dirigeant son cheval par le contact de sa chair. Puis finalement, il a enseigné le principe de la mort. Cette quatrième approche est comparable au cavalier dirigeant son cheval par le contact de ses os. Bien qu’un cavalier puisse ne pas parvenir à mener son cheval dans la bonne direction, Shakyamuni, lui, n’a jamais failli dans sa mission de mener les être sensibles à leur libération. C’est pour cela qu’on l’a surnommé « le grand meneur d’Hommes (7) ». Voilà, c’est l’histoire des quatre chevaux contenue dans le Maha-paranirvana soūtra. Tous les pratiquants ont eu à l’étudier et tous les Bouddhas n’ont jamais manqué de l’enseigner. Nous l’entendons en suivant les Bouddhas qui en usent pour guider les êtres sensibles sur la Voie. Quand une personne parvient à la Bouddhéité, elle devrait l’enseigner à tous les Bodhisattvas et les Sravakas (, les humains et les êtres célestes avec la même ferveur de ses débuts. C’est pour cela que les trois trésors sont éternels et que les enseignements des Bouddhas et des Bodhisattvas n’ont pas la même intensité.
7. Maintenant, nous savons qu’il y a quatre méthodes pour conduire un cheval : par le contact des poils, par le contact de la peau, de la chair et des os. Bien qu’il nous ait donné connaissance de ces quatre approches, il ne nous a pas été spécifié le type d’instrument à utiliser. Les Maîtres qui ont eu la véritable transmission savent que cela pourrait être éventuellement une cravache. Certains en font usage, mais d’autres n’en font pas. Chaque situation est particulière et nécessite une intervention particulière. Un cheval qui fait au garrot plus de deux mètres est appelé un « cheval dragon » et celui qui peut parcourir environ mille lieues en une journée est appelé « cheval de mille lieues ». Tous deux n’ont nullement besoin d’une cravache pour être mené. Le « cheval de mille lieues » sue sang et eau sur les premier cinq-cent lieues, afin d’être assez frais pour les cinq-cent lieues restantes. Ce genre de cheval ne se trouve pas en Chine. Rares sont ceux qui peuvent monter ce genre de cheval. Je n’ai jamais entendu ou lu que ceux qui les montaient avaient usage d’une cravache. Cependant, un vieux Bouddha aurait dit : « pendant le dressage, nous donnons inévitablement des coups de cravaches. Sans la cravache, on ne peut dresser un cheval. C’est ainsi que l’on a toujours dressé les chevaux ».
8. Comme il a été précédemment dit, il y a quatre méthodes pour mener un cheval : par le contact des poils, par le contact de la peau, par le contact de la chair et des os. C’est évident que pour y arriver, il nous faut user de la cravache, encore que cela n’ait pas été mentionné dans le soūtra. Ce genre d’omission est assez fréquent. Comme il a été dit précédemment, Shakyamuni le grand meneur d’Hommes [à l’instar des dresseurs de chevaux] n’a jamais échoué dans sa mission de guider les êtres sensibles sur la Voie.
9. Les personnes réceptives parviennent à la compréhension simplement en entendant l’enseignement sur le principe de la naissance, d’autres y parviennent à un âge avancé ou pas avant d’avoir fait l’expérience de la maladie ou de la mort. Les trois dernières méthodes pour mener un cheval ne sont possibles qu’après avoir appliqué la première. Comme les trois derniers enseignements de Shakyamuni au sujet du vieillissement, de la maladie et de la mort découlent du premier. Shakyamuni fut un précurseur en enseignant les principes de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Il ne l’a pas fait pour en soustraire l’Homme ou pour établir des règles de vie, mais il l’a fait pour guider les êtres sensibles sur la Voie. Il n’a jamais failli à sa mission, d’où ce qualificatif de « meneur d’Hommes. »
Shime | 四馬
J’ai fini de recopier ce document à partir d’un brouillon de Maître Dôgen, un jour de l’été 1255. Ejo.
Notes
1 L’entretien entre un non bouddhiste et Shakyamuni .
2 Zo agon gyo | 雑阿含経 (jap.) ; correspond au Samyutta-nikaya en pali, traduit en langue chinoise par Gunabhadra (394-468), moine du centre de l’Inde à l’époque des Song. Il s’agit en fait d’une collection d’écrits qui traite des doctrines de la souffrance, de la vacuité, de l’impermanence, et du non_moi, ainsi que du sentier octuple.
3 Mujō | 無常 (jap.) ; impermanence .
4 Ref : Maka-shikan-guketsu | 止観輔行伝弘決 ; Commentaire très détaillé de Guanding | 灌頂 ( 561- 632) sur le Maka Shikan | 摩訶止觀 ; l’une des trois œuvres maîtresses du religieux chinois Chih-i | 智顗 , (538-597 ) , t exte du courant Tendai shu | 天台宗 .
5 Réf. au Yuimakitsu shosetsu kyō | 維摩詰所 說 經 (Vimalakirti –nirdesa - trad. de Kumārajīva) .
6 Nehankyō | 涅槃経
7 Un des dix qualificatifs attribués au Bouddha.
8 Śrāvaka (skt.)Shomon | 聲聞 (jap.) ; littéralement, celui qui entend | 聞 la voix | 聲 ; auditeur. Les auditeurs sont ceux qui écoutent l’enseignement du Bouddha. Non seulement l’entendent-ils , mais en plus ils mènent une profonde réflexion..
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