Une nappe de goudron
par Upasika Kee
par Upasika Kee
Traduit par Jeanne Schut
Extrait de Reading the mind
Il y a un point important mais subtil dont il faut être conscient : c’est que, même si nous pratiquons la méditation, nous continuons à nous laisser séduire par les sentiments agréables parce que les sentiments créent une illusion à plusieurs niveaux. Nous n’avons pas conscience qu’ils vont changer, qu’ils sont éphémères. Au lieu de nous offrir du plaisir, ils ne nous offrent que des tensions, et pourtant nous y sommes terriblement attachés.
C’est pourquoi cette question des sentiments est très subtile. Je vous demande d’essayer de l’observer avec beaucoup d’attention ; de voir comment nous nous emparons des sentiments de plaisir, de douleur ou d’équanimité. Il faut observer cela de près pour le voir clairement et il faut travailler avec le ressenti de la douleur plus que vous ne le souhaiteriez. Quand il y a des sensations de douleur physique ou de souffrance psychologique, l’esprit se débat parce qu’il n’aime pas souffrir. Mais quand il s’agit de plaisir, l’esprit aime ça et s’en réjouit, de sorte qu’il continue à jouer avec ce ressenti même si, comme nous l’avons déjà souvent dit, les ressentis changent, sont source de tension et ne sont pas vraiment nôtres. Mais l’esprit ne le voit pas. Tout ce qu’il voit, ce sont des sentiments de plaisir et il en redemande.
Essayez de voir comment les ressentis donnent naissance au désir. C’est parce que nous voulons des ressentis agréables que le désir murmure à notre oreille ; il murmure juste là, au niveau du ressenti. Si vous observez attentivement, vous verrez que c’est un aspect très important car c’est ici que la voie et les fruits qui mènent au nibbana sont atteints, juste ici, au niveau du ressenti et du désir. Si nous pouvons éliminer le désir du ressenti, c’est le nibbana.
Dans le solasa pañhā (Sutta Nipāta V), le Bouddha dit que les poisons du mental sont comme un fleuve large et profond, mais il enchaîne en résumant la pratique : traversez-le simplement en abandonnant le désir dans chacun de vos actes. C’est donc ici, au niveau du ressenti, que nous pouvons pratiquer pour abandonner le désir car la façon dont nous nous délectons de la saveur des ressentis a de nombreuses ramifications. C’est ici que beaucoup d’entre nous se font piéger parce que nous ne voyons pas que les ressentis fluctuent. Nous voulons qu’ils soient permanents ; nous voulons que les sentiments agréables durent. Quant à la douleur, nous ne voulons pas qu’elle dure mais, même si nous essayons de nous en défaire, nous nous en saisissons aussi mentalement.
Voilà pourquoi nous devons nous concentrer sur les ressentis – sensations et sentiments. Cela nous permettra d’abandonner le désir à l’endroit même où il apparaît : au niveau du ressenti. Si nous ne concentrons pas notre attention là, toutes les autres voies que vous suivrez vont tout simplement proliférer. Alors, ramenez la pratique à l’intérieur, là où elle doit être pratiquée. Quand l’esprit change ou quand il développe un sentiment de calme ou de paix que l’on ressent comme plaisir ou équanimité, essayez de voir en quoi le plaisir ou l’équanimité est impermanent, en quoi il n’est pas vous ni vôtre. Quand vous saurez faire cela, vous cesserez de vous complaire dans ce ressenti particulier. Vous pouvez cesser ici même, là où l’esprit se saisit de la saveur du ressenti agréable et engendre ainsi le désir. C’est la raison pour laquelle l’esprit doit être pleinement conscient de lui-même, tout le temps et en toutes circonstances, et demeurer dans une observation précise pour voir que tout ressenti est vide de soi.
Cette histoire de ressentis agréables et désagréables est une maladie difficile à déceler parce que nous adorons avoir des ressentis. Nous nous saisissons même avec délectation des ressentis de paix et de vacuité dans l’esprit. Les ressentis grossiers, pleins de violence ou de tension, qui naissent des poisons mentaux sont faciles à détecter. Mais, quand l’esprit s’apaise, qu’il se pose, frais, lumineux, etc., nous sommes toujours attachés aux ressentis. Nous voulons avoir ces ressentis de plaisir et d’équanimité ; nous les apprécions. Même au niveau de la concentration stabilisée ou absorption méditative, il y a attachement à ce ressenti.
Telle est la force subtile et quasi magnétique du désir qui colore et masque les choses. Cette coloration et ces masques sont difficiles à déceler parce que le désir est toujours en train de murmurer en nous : « Je ne veux que des ressentis agréables ». C’est une question très sérieuse car ce virus du désir est la cause de nos renaissances continuelles.
Alors, observez bien pour voir comment le désir colore et masque les choses, comment il engendre l’apparition de la convoitise, l’envie d’obtenir ceci ou de prendre cela, et quelle sorte de saveur il a pour vous rendre tellement dépendant de lui qu’il vous est difficile de le repousser. Vous devez observer attentivement pour voir comment le désir attache l’esprit si solidement aux ressentis que l’on ne se lasse jamais de la sensualité ni des sensations agréables, quel qu’en soit le niveau. Si vous n’observez pas suffisamment pour voir clairement que l’esprit est prisonnier des ressentis et du désir, cela vous empêchera de vous libérer.
Nous sommes piégés par les ressentis comme un singe dans un piège de goudron. Les gens prennent une petite quantité de goudron et la mettent là où ils savent que le singe va y coller sa main ; ensuite il va essayer de se décoller avec l’autre main puis avec les deux pieds et finalement même sa bouche va rester collée au goudron. Voyez un peu : quoi que nous fassions, nous nous retrouvons piégés au niveau du ressenti et du désir ; nous n’arrivons pas à séparer les deux ; nous n’arrivons pas à nous laver d’eux. Si nous ne finissons pas par nous lasser du désir, nous serons comme le singe englué dans le goudron, nous piégeant nous-mêmes de plus en plus. Par conséquent, si nous avons à cœur de nous libérer en suivant la voie des grands Eveillés, nous devons nous concentrer tout particulièrement sur les ressentis jusqu’à réussir à nous en libérer. Nous devons nous exercer même avec les ressentis douloureux car, si nous avons peur de la douleur et que nous essayons toujours de la remplacer par le plaisir, nous finirons encore plus ignorants qu’avant.
C’est pour cette raison que nous devons être courageux face à la douleur, qu’il s’agisse de douleur physique ou de détresse psychologique. Quand elle apparaît dans toute sa force, comme une maison en feu, serons-nous capables de la lâcher ? Nous devons connaître les deux aspects du ressenti. Quand c’est chaud et que ça brûle, comment le gérer ? Quand c’est léger et rafraichissant, comment voir au travers ? Nous devons faire un effort pour nous concentrer sur les deux aspects, les observer avec attention jusqu’à ce que nous sachions comment lâcher prise. Sinon nous ne saurons rien du tout, nous continuerons à ne désirer que les ressentis légers et agréables ; plus ils seront légers et mieux cela vaudra… mais, dans ce cas, comment pouvons-nous espérer nous libérer du cycle des renaissances ?
Le nibbana est l’extinction du désir mais nous nous plaisons à entretenir le désir ; alors comment pouvons-nous espérer arriver quelque part ? Nous resterons ici, dans le monde, ici avec l’insatisfaction et la souffrance car le désir est une sève collante. S’il n’y a pas de désir, il n’y a rien : pas de souffrance, pas de renaissance. Mais nous devons être à l’affût pour le débusquer. C’est une sève collante, une nappe de goudron, une teinture difficile à nettoyer.
Alors, ne vous laissez pas emporter par les ressentis, sensations ou sentiments. C’est justement là que se trouve la partie cruciale de la pratique.
Source: http://www.dhammadelaforet.org/sommaire/kee/nappe_goudron.html
Hier à 10:27 par heyopibe
» Méditation : Qu'est ce que l'esprit sans réfèrence ?
Hier à 09:45 par heyopibe
» Les voeux de Bodhisattva
Dim 17 Mar 2024, 11:43 par Mila
» Des arbres , pour l'Arbre .
Dim 17 Mar 2024, 11:35 par Mila
» Bouddha n'était pas non violent...
Jeu 14 Mar 2024, 01:02 par Pieru
» Lankavatara Sutra ----------------------------------------------------
Lun 11 Mar 2024, 13:52 par heyopibe
» Mauvaise compréhension - besoin d'explication
Ven 08 Mar 2024, 18:51 par Nidjam
» Qu’entend-on vraiment par « tout vient de l’esprit » ?
Ven 08 Mar 2024, 15:54 par Nidjam
» Bonjour à tous de la part de Pieru
Jeu 07 Mar 2024, 13:53 par Pieru
» Le Discours entre un Roi et un Moine : Les Questions de Milinda
Ven 01 Mar 2024, 13:23 par Nidjam
» Le Bonheur est déjà là , par Gyalwang Drukpa Rimpoché
Jeu 29 Fév 2024, 18:39 par Nidjam
» Une pratique toute simple : visualisez que tout le monde est guéri ....
Jeu 29 Fév 2024, 18:06 par Nidjam
» Drapeaux de prière - l'aspiration à un bien-être universel
Jeu 29 Fév 2024, 17:30 par Puntsok Norling
» Déterminisme: Le Choix est-il une illusion ?
Jeu 29 Fév 2024, 17:28 par Nidjam
» Initiations par H.E. Ling Rimpoché
Ven 23 Fév 2024, 08:54 par Mila
» Jour de ROUE important dans le calendrier Bouddhiste
Ven 23 Fév 2024, 08:42 par Mila
» Bonne année Dragon de Bois à toutes et à tous
Sam 10 Fév 2024, 23:02 par Karma Trindal
» Bouddhisme/-Science de l'esprit : Identité et non-identité
Ven 09 Fév 2024, 12:56 par heyopibe
» Déclaration commune concernant la réincarnation de Kunzig Shamar Rinpoché
Lun 05 Fév 2024, 12:16 par Nangpa
» Les souhaits de Maitreya , par le 12e Kenting Taï Situ Rimpoché
Lun 05 Fév 2024, 09:28 par heyopibe
» L'Interdépendance selon les enseignements du Lamrim
Lun 05 Fév 2024, 09:27 par heyopibe
» Amitābha: Le Grand Soutra de la Vie Infinie
Lun 29 Jan 2024, 22:53 par Disciple laïc
» Qu'est-ce que l'essence de la voie du Dharma ?
Mar 09 Jan 2024, 19:52 par Puntsok Norling
» Quelles sont les règles respectées dans les temples bouddhistes tibétain
Ven 05 Jan 2024, 10:48 par Nangpa
» Toute l'équipe de L'Arbre des Refuges vous souhaite ses Meilleurs Voeux pour 2024!
Mer 03 Jan 2024, 12:14 par Nutts
» Le Singe
Sam 30 Déc 2023, 21:38 par Karma Trindal
» Le Buffle
Ven 29 Déc 2023, 23:24 par petit_caillou
» Le Tigre
Ven 29 Déc 2023, 23:21 par petit_caillou
» Le Lapin (ou Chat)
Ven 29 Déc 2023, 23:18 par petit_caillou
» Le Coq
Ven 29 Déc 2023, 23:15 par petit_caillou
» La Chèvre (ou Mouton)
Ven 29 Déc 2023, 23:12 par petit_caillou
» Le Dragon
Lun 25 Déc 2023, 14:14 par petit_caillou
» Le Serpent
Lun 25 Déc 2023, 14:09 par petit_caillou
» Le Cochon
Lun 25 Déc 2023, 13:59 par petit_caillou
» L'année du Dragon de bois 2024
Sam 23 Déc 2023, 00:04 par petit_caillou
» Le Cheval
Ven 22 Déc 2023, 23:59 par petit_caillou
» Le Chien
Ven 22 Déc 2023, 23:54 par petit_caillou
» Le Rat
Ven 22 Déc 2023, 23:48 par petit_caillou
» L'Eco Dharma .................................................
Lun 27 Nov 2023, 15:28 par heyopibe
» Shantideva: Bodhicaryâvatâra
Sam 11 Nov 2023, 16:25 par Admin
» Bouddhisme vajrayāna : Instructions sur le Mahāmudrā
Sam 11 Nov 2023, 15:42 par Admin
» J'irai dormir chez vous (émission TV)
Ven 10 Nov 2023, 19:35 par Disciple laïc
» Dharma Appliqué: Présentation de la rubrique
Jeu 09 Nov 2023, 16:21 par Mila
» Le Bonheur National Brut
Jeu 09 Nov 2023, 11:34 par heyopibe
» Le champ d'application ...................................
Jeu 09 Nov 2023, 11:02 par heyopibe
» Bonne Nouvelle chrétienne et Bonne Nouvelle bouddhiste
Mer 08 Nov 2023, 23:07 par Ortho
» Les Quatre Nobles Vérités -------------------------------------
Mer 08 Nov 2023, 11:40 par heyopibe
» Sages paroles de Kandro Rimoché .
Mar 07 Nov 2023, 19:58 par Mila
» Tout ce qu'on sait sur la mort - Dialogue avec Stéphane Allix
Lun 06 Nov 2023, 19:26 par Nangpa
» Une annonce tardive ....Au Revoir , Léa ...
Jeu 02 Nov 2023, 12:55 par Mila
» Les 6 aspects de la Perception Correcte
Mer 01 Nov 2023, 12:37 par heyopibe
» Un milliardaire donne tout aux bonnes œuvres
Mer 01 Nov 2023, 10:25 par heyopibe
» Se préparer à la mort, conférence Louvain La Neuve
Lun 30 Oct 2023, 17:37 par Pema Gyaltshen
» Colloques Bardos Louvain La Neuve
Lun 30 Oct 2023, 17:34 par Pema Gyaltshen
» Quatorze versets sur la méditation
Lun 30 Oct 2023, 14:45 par Ortho
» KANNON, Bodhisattva de la compassion
Dim 29 Oct 2023, 14:06 par Mila
» La situation internationale et le Moyen-Orient
Dim 29 Oct 2023, 08:54 par Disciple laïc
» Chaine You Tube recommandée positive : The Dodo
Sam 28 Oct 2023, 22:33 par Disciple laïc
» ASBL L'Arbre des Refuges: Présentation du Projet
Lun 23 Oct 2023, 19:43 par Karma Trindal
» Boîte aux lettres " Besoin de prières"
Lun 23 Oct 2023, 19:28 par Karma Trindal
» Décès du Lama TEUNSANG après avoir traversé des mois de maladie.
Lun 23 Oct 2023, 19:23 par Karma Trindal
» Que sont nos amis devenus ?
Lun 23 Oct 2023, 19:20 par Karma Trindal
» Rencontres avec le Bouddha à travers les Udana
Dim 15 Oct 2023, 21:35 par Disciple laïc
» Découvrez les Bienfaits du Bouddhisme Tibétain pour une Vie Équilibrée
Sam 07 Oct 2023, 15:27 par Mila
» Deux conférences à propos de Karmapakshi
Ven 06 Oct 2023, 23:17 par Mila
» Rituel annuel, Drouptcheu de Karmapakshi , à Bruxelles
Ven 06 Oct 2023, 22:50 par Mila
» La Bonne nouvelle du Salut
Lun 02 Oct 2023, 08:03 par Disciple laïc
» On nait mis en boîte ! .....................
Dim 01 Oct 2023, 17:55 par Disciple laïc
» Médecines d'Asie - l'Art de l'équilibre 1ère et 2ème partie
Lun 18 Sep 2023, 10:52 par Mila
» Les derniers jours de Muhammad (et 3 autres ouvrage)
Jeu 14 Sep 2023, 22:31 par Disciple laïc
» Le bouddhisme face au monde contemporain
Jeu 14 Sep 2023, 22:23 par Disciple laïc
» Étudier "Le Chemin de la Grande Perfection"
Dim 03 Sep 2023, 18:50 par Puntsok Norling
» Méditation bouddhiste à Bruxelles
Ven 01 Sep 2023, 12:12 par Puntsok Norling
» XXIIe festival du Tibet et de l'Himalaya
Jeu 31 Aoû 2023, 12:56 par Mila
» Au Musée Guimet , Exposition " Les médecines d'Asie " jusqu'au 18 septembre 2023
Ven 25 Aoû 2023, 13:26 par Mila