Leçon de bonheur avec Christophe André
C’est un abécédaire très personnel qui prend fait et cause pour la psychologie positive. Dans Et n’oublie pas d’être heureux, Christophe André raconte comment lui, le psychiatre spécialiste du bonheur, s’applique chaque jour à savourer sa vie. Morceaux choisis et présentés par l’auteur pour Psychologies.
Christophe André
Contrairement à ce que pensent parfois mes lecteurs, je ne suis pas, au départ, très doué pour le bonheur. C’est bien pour ça que le sujet m’intéresse ! Je ne suis pas doué, donc, mais j’ai bien progressé : depuis des années, je fais des efforts, et mon cerveau est toujours en éveil pour observer la manière dont les humains se rendent heureux ou malheureux, bien au-delà de ce qui arrive dans leur vie. Ce sont ces efforts, les miens et ceux des autres, joyeux ou douloureux mais toujours fructueux, que j’ai voulu raconter dans mon dernier livre, et je vous livre ici quelques-unes des expériences et convictions qui m’ont durablement marqué et aidé.
Auteur admirable
Je suis embarrassé lorsque j’ai l’impression qu’on me prend pour un sage. D’un côté, c’est normal : quand on aime un auteur, on a souvent tendance à l’idéaliser, à imaginer que c’est un humain différent des autres, aussi délicat et empathique dans le cours de ses journées que dans celui de ses livres. Je ne voudrais pas généraliser, car je ne connais pas tous les auteurs du monde, mais en ce qui me concerne, ça ne marche pas comme ça. Sur cette question, Christian Bobin écrivait très justement ceci : « L’homme dont on parle quand on parle de mes livres n’existe pas. » Bien sûr que les auteurs ne sont pas parfaits : même ceux qui, comme moi, écrivent sur la méditation s’énervent ; même ceux qui écrivent des poésies magnifiques et éthérées s’intéressent aux moyens de payer leurs impôts. Les auteurs font juste les mêmes efforts que vous, lecteurs, pour progresser et se rapprocher de leur idéal. Peut-être ont-ils, parfois, dans certains domaines, un peu d’avance. Peut- être font-ils de plus grands efforts, dont ils ont justement envie de parler dans leurs écrits. L’admiration ou l’estime ne doivent pas nous aveugler : encore et toujours un grand principe de la psychologie positive, le mélange étroit entre le lumineux et le ténébreux, entre l’abouti et l’imparfait. C’est ce qui rend la vie – et la psychologie – si intéressante...
Désespoir
Quand j’en ai marre de tout, j’aime bien repenser à ce proverbe yiddish : « Ne succombez jamais au désespoir, il ne tient pas ses promesses ! » C’est peut-être ça qu’on appelle l’énergie du désespoir ? Commencer par le laisser nous envahir, laisser se rompre les digues, imaginer que nous allons quitter ce monde et ses souffrances. Commencer à monter au ciel dans notre imaginaire. Tout regarder d’un œil tranquille et détaché. Comme c’est beau vu d’en haut ! Et comme nos soucis nous semblent petits tout à coup. Finalement, nous pouvons redescendre ! Nous verrons bien comment nous en sortir. Il y aura toujours une solution. Comme le disait je ne sais plus qui : « Tout s’arrange, même mal ! »
Ecologie et psychologie
Prendre soin de ce monde comme si je devais y vivre toujours : l’écologie me le demande. Mais n’oublier jamais que je peux mourir demain : la psychologie me le conseille.
Etoiles
« Les étoiles. Il y a de la lumière chez Dieu. » Ce clin d’œil. Jules Renard nous encourage à porter un regard habité sur le monde. Imaginer Dieu chez lui, dans son fauteuil, plongé dans la lecture d’un bon bouquin, m’amuse et me réjouit. C’est naïf mais c’est réconfortant. En général, je garde ce genre de pensées enfantines pour moi, ou pour mon journal, comme l’ami Jules. Je m’efforce d’en avoir souvent.
Gratin de courgettes
Ça se passe chez des cousins qui nous ont invités, avec d’autres amis et cousins, dans leur maison à la montagne. Nous arrivons tard le soir et la cousine invitante nous improvise gentiment un repas avec ce qu’elle trouve dans sa cuisine. « Tiens, il y a du gratin de courgettes. Quelqu’un en veut ? Non ? Christophe, toi qui aimes les légumes, tu en veux un peu ? Non ? Bon, ben, je le mets tout de suite à la poubelle, ça fait plusieurs jours qu’il traîne au frigo... » J’éclate de rire, et elle met quelques secondes à comprendre pourquoi, puis se met à rire elle aussi, un peu embarrassée mais sans plus : elle est comme ça, la cousine, spontanée et franche du collier, comme on dit. Et très gentille aussi. Bien sûr que dans sa tête la séquence n’était pas préméditée : « Un, je veux jeter ce truc. Deux, mais je tente – au cas où – de le caser à quelqu’un. Trois, je le jetterai si personne n’en veut. » Et bien sûr que c’était plutôt : « Un, tiens, il reste un peu de gratin. Deux, peut-être que quelqu’un en mangera. Trois, bon, personne n’en veut, et ça me fait penser que ça va traîner au frigo. Quatre, allez zou, on jette... » Mais après le repas, alors que tout le monde bavarde au coin du feu, je repense à ce petit moment : la frontière entre la maladresse et l’offense est bien ténue. Si je n’ai pas été vexé mais amusé, c’est que j’aime bien la cousine et que je sais qu’elle m’aime bien. Sans ces certitudes, l’histoire du gratin serait peut-être moins bien passée. Comme quoi, ce qu’on appelle la contextualisation et le recul sont indispensables pour une bonne digestion psychologique des événements de vie. C’est pour ça aussi, d’ailleurs, que nous avons intérêt à avancer dans la vie dans la meilleure humeur possible : toutes les études montrent que c’est elle, cette bonne humeur, qui peut le plus facilement nous donner ce recul et ces capacités de contextualisation. Bien plus que le mauvais poil.
Lenteur
Je me sens fort dans la vitesse et heureux dans la lenteur. C’est pourquoi je préfère la lenteur.
Mantras
Ce terme, qui désigne une phrase mentale protectrice, vient du sanscrit manas qui signifie « esprit », et de tra, qui veut dire «protection» : un mantra est ainsi une formule destinée à la protection de notre esprit. En psychologie positive, on peut prendre garde à la manière dont nous nous parlons à nous-mêmes, parfois sans bien nous en rendre compte. Et cultiver alors nos mantras personnels, comme des petits chuchotements encourageants et amicaux que l’on se murmure et auxquels on s’accroche pour ne pas trop s’inquiéter ou se décourager. Un matin que je souffrais sous l’assaut des « choses à faire » dans mon travail et à la maison, je me suis agrippé à celui-ci : « Fais de ton mieux, et n’oublie pas d’être heureux. » Depuis, je l’ai adopté et je l’active à chaque fois que je sens que le stress et le perfectionnisme tentent de prendre les commandes de mon cerveau. J’ai aussi en magasin : « Mieux vaut marcher et respirer que ruminer » pour les moments où mon esprit commence à tourner en boucle autour de problèmes insolubles. Ou encore : « Ne renonce jamais sans avoir essayé. Mais si tu as vraiment essayé, donne-toi toujours le droit de renoncer. » La devise marche mieux,évidemment, si elle est réaliste, et si nous sommes convaincus qu’elle a du sens et de la pertinence. Et si nous prenions le temps de nous poser et de nous apaiser pour vraiment l’écouter et nous synchroniser à sa sagesse.
Métro
Un jour, je me trouvais dans le métro. Il y avait beaucoup de monde, j’étais debout, face à la porte vitrée, coincé devant mon reflet. Du coup (rien de mieux à faire), je me regarde, vraiment : je faisais une tête d’enterrement. Sinistre. Et sans raison particulière : certes, il faisait chaud, c’était pour aller travailler, il y avait beaucoup de monde, et presque tous les passagers faisaient la même tête d’enterrement. Mais tout de même : est-ce que j’avais de bonnes raisons d’afficher ce visage sinistre ? Non, aucune ! Tout allait à peu près bien dans ma vie, pas de vrai souci. Alors quoi ? Rien, juste du laisser-aller. Du coup, j’ai repensé à toutes les études sur le sourire, et ses avantages pour soi et les autres. J’ai doucement tiré sur mes zygomatiques et j’ai installé un tout petit sourire sur mon visage. Pas trop gros, pour ne pas incommoder ou inquiéter mes voisins. Juste le petit sourire tranquille, les yeux dans le vague, de la personne qui pense à ses vacances, ou aux gens qu’elle aime, ou à quelque chose d’agréable. Juste comme ça, pour me faire du bien et pour participer un peu à l’amélioration de l’ambiance dans les wagons de métro ! Vous ne me croirez peut-être pas, mais cet instant a été pour moi un moment fondateur : je crois que c’est depuis que je m’efforce d’adopter, comme expression de base, un léger sourire. Il me semble que ça me fait du bien. Et c’est fou, du coup, le nombre de personnes inconnues qui me disent bonjour dans la rue !
Tourmentés dans la joie
J’ai lu un jour chez Bobin cette phrase qui a accroché mon attention et activé mon esprit : « Tourmentés dans la joie bien plus que dans la peine. » Pour ma part, je comprends parfaitement que l’on puisse être tourmenté dans la joie ; ce que les véritables optimistes parmi mes proches ont du mal à comprendre, quand je leur parle de ce genre de ressentis. Je le comprends, car cela évoque pour moi toutes les inquiétudes du bonheur : « Cela va s’arrêter ! Comment ? Quand ? Est-ce qu’un malheur ne va pas suivre, comme pour me faire payer le loyer de ce bonheur ? », etc. Être, comme je le suis, un sous-doué du bonheur (je ne suis qu’un élève studieux) expose à ces tourments. Je m’en fiche. Je les préfère à la morosité du pessimisme cynique et résigné. Je préfère être tourmenté dans la joie que pas joyeux du tout !
Yacht
Certains jours, j’ai envie d’un yacht. Ça ne m’arrive pas très souvent : juste quand je marche en été sur les quais d’un port de plaisance. Dans ces moments, j’ai envie de prendre moi aussi l’apéritif sur le pont de mon beau bateau, au soleil couchant, dans le cliquetis des haubans et l’air tiède de la nuit d’été qui vient. Mais ça me passe vite. Et ça ne me fait pas mal. Avoir rêvé quelques minutes sur cette bouée de luxe me contente sans laisser d’amertume à mon esprit. Envier les riches ? Écoutons auparavant saint Augustin : « Les riches, vous voyez bien ce qu’ils ont, vous ne voyez pas ce qui leur manque. »
C’est un abécédaire très personnel qui prend fait et cause pour la psychologie positive. Dans Et n’oublie pas d’être heureux, Christophe André raconte comment lui, le psychiatre spécialiste du bonheur, s’applique chaque jour à savourer sa vie. Morceaux choisis et présentés par l’auteur pour Psychologies.
Christophe André
Contrairement à ce que pensent parfois mes lecteurs, je ne suis pas, au départ, très doué pour le bonheur. C’est bien pour ça que le sujet m’intéresse ! Je ne suis pas doué, donc, mais j’ai bien progressé : depuis des années, je fais des efforts, et mon cerveau est toujours en éveil pour observer la manière dont les humains se rendent heureux ou malheureux, bien au-delà de ce qui arrive dans leur vie. Ce sont ces efforts, les miens et ceux des autres, joyeux ou douloureux mais toujours fructueux, que j’ai voulu raconter dans mon dernier livre, et je vous livre ici quelques-unes des expériences et convictions qui m’ont durablement marqué et aidé.
Auteur admirable
Je suis embarrassé lorsque j’ai l’impression qu’on me prend pour un sage. D’un côté, c’est normal : quand on aime un auteur, on a souvent tendance à l’idéaliser, à imaginer que c’est un humain différent des autres, aussi délicat et empathique dans le cours de ses journées que dans celui de ses livres. Je ne voudrais pas généraliser, car je ne connais pas tous les auteurs du monde, mais en ce qui me concerne, ça ne marche pas comme ça. Sur cette question, Christian Bobin écrivait très justement ceci : « L’homme dont on parle quand on parle de mes livres n’existe pas. » Bien sûr que les auteurs ne sont pas parfaits : même ceux qui, comme moi, écrivent sur la méditation s’énervent ; même ceux qui écrivent des poésies magnifiques et éthérées s’intéressent aux moyens de payer leurs impôts. Les auteurs font juste les mêmes efforts que vous, lecteurs, pour progresser et se rapprocher de leur idéal. Peut-être ont-ils, parfois, dans certains domaines, un peu d’avance. Peut- être font-ils de plus grands efforts, dont ils ont justement envie de parler dans leurs écrits. L’admiration ou l’estime ne doivent pas nous aveugler : encore et toujours un grand principe de la psychologie positive, le mélange étroit entre le lumineux et le ténébreux, entre l’abouti et l’imparfait. C’est ce qui rend la vie – et la psychologie – si intéressante...
Désespoir
Quand j’en ai marre de tout, j’aime bien repenser à ce proverbe yiddish : « Ne succombez jamais au désespoir, il ne tient pas ses promesses ! » C’est peut-être ça qu’on appelle l’énergie du désespoir ? Commencer par le laisser nous envahir, laisser se rompre les digues, imaginer que nous allons quitter ce monde et ses souffrances. Commencer à monter au ciel dans notre imaginaire. Tout regarder d’un œil tranquille et détaché. Comme c’est beau vu d’en haut ! Et comme nos soucis nous semblent petits tout à coup. Finalement, nous pouvons redescendre ! Nous verrons bien comment nous en sortir. Il y aura toujours une solution. Comme le disait je ne sais plus qui : « Tout s’arrange, même mal ! »
Ecologie et psychologie
Prendre soin de ce monde comme si je devais y vivre toujours : l’écologie me le demande. Mais n’oublier jamais que je peux mourir demain : la psychologie me le conseille.
Etoiles
« Les étoiles. Il y a de la lumière chez Dieu. » Ce clin d’œil. Jules Renard nous encourage à porter un regard habité sur le monde. Imaginer Dieu chez lui, dans son fauteuil, plongé dans la lecture d’un bon bouquin, m’amuse et me réjouit. C’est naïf mais c’est réconfortant. En général, je garde ce genre de pensées enfantines pour moi, ou pour mon journal, comme l’ami Jules. Je m’efforce d’en avoir souvent.
Gratin de courgettes
Ça se passe chez des cousins qui nous ont invités, avec d’autres amis et cousins, dans leur maison à la montagne. Nous arrivons tard le soir et la cousine invitante nous improvise gentiment un repas avec ce qu’elle trouve dans sa cuisine. « Tiens, il y a du gratin de courgettes. Quelqu’un en veut ? Non ? Christophe, toi qui aimes les légumes, tu en veux un peu ? Non ? Bon, ben, je le mets tout de suite à la poubelle, ça fait plusieurs jours qu’il traîne au frigo... » J’éclate de rire, et elle met quelques secondes à comprendre pourquoi, puis se met à rire elle aussi, un peu embarrassée mais sans plus : elle est comme ça, la cousine, spontanée et franche du collier, comme on dit. Et très gentille aussi. Bien sûr que dans sa tête la séquence n’était pas préméditée : « Un, je veux jeter ce truc. Deux, mais je tente – au cas où – de le caser à quelqu’un. Trois, je le jetterai si personne n’en veut. » Et bien sûr que c’était plutôt : « Un, tiens, il reste un peu de gratin. Deux, peut-être que quelqu’un en mangera. Trois, bon, personne n’en veut, et ça me fait penser que ça va traîner au frigo. Quatre, allez zou, on jette... » Mais après le repas, alors que tout le monde bavarde au coin du feu, je repense à ce petit moment : la frontière entre la maladresse et l’offense est bien ténue. Si je n’ai pas été vexé mais amusé, c’est que j’aime bien la cousine et que je sais qu’elle m’aime bien. Sans ces certitudes, l’histoire du gratin serait peut-être moins bien passée. Comme quoi, ce qu’on appelle la contextualisation et le recul sont indispensables pour une bonne digestion psychologique des événements de vie. C’est pour ça aussi, d’ailleurs, que nous avons intérêt à avancer dans la vie dans la meilleure humeur possible : toutes les études montrent que c’est elle, cette bonne humeur, qui peut le plus facilement nous donner ce recul et ces capacités de contextualisation. Bien plus que le mauvais poil.
Lenteur
Je me sens fort dans la vitesse et heureux dans la lenteur. C’est pourquoi je préfère la lenteur.
Mantras
Ce terme, qui désigne une phrase mentale protectrice, vient du sanscrit manas qui signifie « esprit », et de tra, qui veut dire «protection» : un mantra est ainsi une formule destinée à la protection de notre esprit. En psychologie positive, on peut prendre garde à la manière dont nous nous parlons à nous-mêmes, parfois sans bien nous en rendre compte. Et cultiver alors nos mantras personnels, comme des petits chuchotements encourageants et amicaux que l’on se murmure et auxquels on s’accroche pour ne pas trop s’inquiéter ou se décourager. Un matin que je souffrais sous l’assaut des « choses à faire » dans mon travail et à la maison, je me suis agrippé à celui-ci : « Fais de ton mieux, et n’oublie pas d’être heureux. » Depuis, je l’ai adopté et je l’active à chaque fois que je sens que le stress et le perfectionnisme tentent de prendre les commandes de mon cerveau. J’ai aussi en magasin : « Mieux vaut marcher et respirer que ruminer » pour les moments où mon esprit commence à tourner en boucle autour de problèmes insolubles. Ou encore : « Ne renonce jamais sans avoir essayé. Mais si tu as vraiment essayé, donne-toi toujours le droit de renoncer. » La devise marche mieux,évidemment, si elle est réaliste, et si nous sommes convaincus qu’elle a du sens et de la pertinence. Et si nous prenions le temps de nous poser et de nous apaiser pour vraiment l’écouter et nous synchroniser à sa sagesse.
Métro
Un jour, je me trouvais dans le métro. Il y avait beaucoup de monde, j’étais debout, face à la porte vitrée, coincé devant mon reflet. Du coup (rien de mieux à faire), je me regarde, vraiment : je faisais une tête d’enterrement. Sinistre. Et sans raison particulière : certes, il faisait chaud, c’était pour aller travailler, il y avait beaucoup de monde, et presque tous les passagers faisaient la même tête d’enterrement. Mais tout de même : est-ce que j’avais de bonnes raisons d’afficher ce visage sinistre ? Non, aucune ! Tout allait à peu près bien dans ma vie, pas de vrai souci. Alors quoi ? Rien, juste du laisser-aller. Du coup, j’ai repensé à toutes les études sur le sourire, et ses avantages pour soi et les autres. J’ai doucement tiré sur mes zygomatiques et j’ai installé un tout petit sourire sur mon visage. Pas trop gros, pour ne pas incommoder ou inquiéter mes voisins. Juste le petit sourire tranquille, les yeux dans le vague, de la personne qui pense à ses vacances, ou aux gens qu’elle aime, ou à quelque chose d’agréable. Juste comme ça, pour me faire du bien et pour participer un peu à l’amélioration de l’ambiance dans les wagons de métro ! Vous ne me croirez peut-être pas, mais cet instant a été pour moi un moment fondateur : je crois que c’est depuis que je m’efforce d’adopter, comme expression de base, un léger sourire. Il me semble que ça me fait du bien. Et c’est fou, du coup, le nombre de personnes inconnues qui me disent bonjour dans la rue !
Tourmentés dans la joie
J’ai lu un jour chez Bobin cette phrase qui a accroché mon attention et activé mon esprit : « Tourmentés dans la joie bien plus que dans la peine. » Pour ma part, je comprends parfaitement que l’on puisse être tourmenté dans la joie ; ce que les véritables optimistes parmi mes proches ont du mal à comprendre, quand je leur parle de ce genre de ressentis. Je le comprends, car cela évoque pour moi toutes les inquiétudes du bonheur : « Cela va s’arrêter ! Comment ? Quand ? Est-ce qu’un malheur ne va pas suivre, comme pour me faire payer le loyer de ce bonheur ? », etc. Être, comme je le suis, un sous-doué du bonheur (je ne suis qu’un élève studieux) expose à ces tourments. Je m’en fiche. Je les préfère à la morosité du pessimisme cynique et résigné. Je préfère être tourmenté dans la joie que pas joyeux du tout !
Yacht
Certains jours, j’ai envie d’un yacht. Ça ne m’arrive pas très souvent : juste quand je marche en été sur les quais d’un port de plaisance. Dans ces moments, j’ai envie de prendre moi aussi l’apéritif sur le pont de mon beau bateau, au soleil couchant, dans le cliquetis des haubans et l’air tiède de la nuit d’été qui vient. Mais ça me passe vite. Et ça ne me fait pas mal. Avoir rêvé quelques minutes sur cette bouée de luxe me contente sans laisser d’amertume à mon esprit. Envier les riches ? Écoutons auparavant saint Augustin : « Les riches, vous voyez bien ce qu’ils ont, vous ne voyez pas ce qui leur manque. »
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