Brève présentation du bouddhisme
Extrait de "Un voyage vers le bonheur "
Sa Sainteté le Dalaï Lama
Comme je vois dans cette assemblée des gens tellement différents les uns des autres, il me sera très difficile de dire quelque chose qui puisse tous vous satisfaire [...] Cependant je vais essayer de cerner les points fondamentaux et essentiels du bouddhisme [...]
Il y a deux catégories de religions : le premier groupe que j'appelle habituellement religions théistes comprend le christianisme, le judaïsme, l'islam ainsi que certaines formes d'hindouisme ancien. Ce groupe affirme l'existence de Dieu comme croyance fondamentale.
Le second, que j'appelle non-théiste, comme la religion jaïn, une partie de la philosophie samkhya (un aspect ancien très sophistiqué de l'hindouisme) et le bouddhisme. Ici, il n'y a ni Dieu, ni créateur, ni tout puissant : en fin de compte on est soi-même un créateur. L'un d'eux, principalement le bouddhisme, n'accepte pas la théorie d'une âme permanente. C'est la distinction entre bouddhisme et non-bouddhisme. La théorie de base du bouddhisme ne croit pas à une âme ou à un soi permanent.
Tout le monde sait que, selon la motivation, le bouddhisme se subdivise généralement en deux groupes : le Hinayana et le Mahayana.
La première motivation est principalement concernée par notre propre libération. Ainsi, par les pratiques de la conduite morale, de la concentration en un point et de la sagesse nous obtenons la libération (Skt. Moksha).
L'autre motivation consiste à ne pas penser qu'à nous-mêmes mais à nous préoccuper de tous les êtres. Par la pratique des six ou des dix perfections (Skt. Paramita) fondée sur les trois entraînements suprêmes, elle permet de parvenir à la bouddhéité : c'est la voie du bodhisattva (Skt. Bodhisattvayana).
Du point de vue des principes philosophiques, il y a quatre différentes écoles de pensée : Vaibhasika, Sautantrika, Cittamatra et Madhyamika. En ce qui concerne le comportement, l'essence de toute la tradition bouddhique est la non-violence.
Pourquoi la non-violence est-elle importante ?
La raison philosophique est basée sur le concept de la loi de l'interdépendance -les choses existent en corrélation. Par exemple, notre survie, notre propre bonheur, dépendent de nombreux facteurs. De la même façon, la douleur et la tragédie dépendent de nombreux facteurs. Ainsi toutes les choses sont liées. A cause de cette nature interdépendante et afin d'obtenir notre propre bonheur, nous devons être attentifs aux causes immédiates. Tout comme nous sommes concernés par l'expérience des conséquences de nos actes, nous devons être attentifs aux causes immédiates comme aux causes à long terme ou éloignées.
Nous voyons donc à quel point la non-violence devient très importante. Le contenu essentiel du bouddhisme peut être résumé en deux points : du point de vue de la conduite, c'est la non-violence et du point de vue de la philosophie, c'est la vue de l'interdépendance. Ici la non-violence a deux niveaux : si nous pouvons aider d'autres êtres, faisons le, servons les autres ; si nous ne le pouvons pas, au moins ne leur faisons pas de mal. Ce sont les deux niveaux de la non-violence ou de l'ahimsa.
La philosophie de l'interdépendance peut avoir diverses interprétations selon les différents systèmes. Dans l'un d'eux, la signification de l'interdépendance correspond au fait que tous les phénomènes conditionnés surgissent en dépendance de causes et de conditions. Ce qui implique qu'il n'y a pas de créateur, les choses dépendent simplement de leur propres causes qui elles-mêmes dépendent de leurs propres causes : il n'y a pas de commencement. Dû aux causes et conditions, tout change constamment. De nouvelles circonstances produisent des faits nouveaux qui agiront à leur tour comme cause et produiront quelque chose de différent, de nouveau. Tel est le processus de la production en dépendance (Skt. Pratityasamoutpada). Ce concept de l'interdépendance est accepté par toutes les différentes écoles bouddhistes.
Lorsque nous arrivons à la théorie de l'interdépendance exposée par la philosophie Madhyamika, nous touchons alors un niveau supérieur dans lequel la signification d'interdépendance ou de corrélation est expliquée par le fait que toute chose dépend de ses parties. Par exemple, s'il s'agit d'un objet physique, il peut se diviser en différentes parties, c'est-à-dire en plusieurs directions. S'il s'agit d'un phénomène sans forme comme la conscience, "avoir différentes parties" peut être compris en termes de différents moments de continuité. De la même façon, des choses sans forme comme l'espace peuvent être expliquées par la nature de l'origine interdépendante : nous pouvons dire que l'espace est constitué de parties puisqu'il est possible de penser à un espace particulier en se référant à certains objets et à certaines directions.
Ainsi nous pouvons comprendre clairement que l'origine interdépendante est expliquée non seulement en termes de dépendance de causes et de conditions mais aussi en termes de dépendance de parties et de directions. Même des phénomènes non physiques, tel que l'espace, peuvent également être expliqués comme ayant la nature de l'origine interdépendante.
Un niveau plus subtil de l'interdépendance est expliqué par le terme "apparition de choses par la désignation ou l'imputation". Lorsque, par exemple, nous analysons ce qu'est une fleur et que nous approfondissons en examinant ses particules, son niveau subatomique, nous ne pouvons pas alors trouver la fleur en tant que telle. Des investigations plus poussées sur les plus petites particules nous permettent de comprendre ceci : lorsque nous apposons une étiquette, donnons un nom ou désignons quelque chose, cette désignation est donnée à l'assemblage de certaines substances ou particules et c'est quand cet assemblage devient une entité fonctionnelle que nous le désignons par un certain nom.
Par exemple si nous nous demandons " qui suis-je ? ", nous ne pouvons trouver un je séparé de notre corps, de notre cerveau, de notre expérience. Si nous approfondissons nos recherches concernant notre nature ultime, nous ne trouvons pas d'identité indépendante, ultime. Sans faire une telle analyse, nous apposons conventionnellement une étiquette ou un nom à la combinaison du corps et de l'esprit. Nous disons : "ceci est un être humain" et nous appelons cette chair tibétaine d'Amdo et cet esprit : "Dalaï Lama, Tenzin Gyatso", n'est-ce-pas ? Nous voyons ensuite qu'en analysant, si nous voulons vraiment trouver le Dalaï Lama, savoir où est ce Tibétain, nous n'y arrivons pas.
De la même manière nous parlons toujours de "passé", de "présent" et de "futur". D'une certaine façon, le passé n'est qu'un souvenir, le futur n'est que notre pensée, qu'un projet, qu'une idée. Le présent est quelque chose de réel. S'il y a réellement un présent, si nous pensons à l'éon actuel, au siècle dans lequel nous sommes, au XXème siècle, à l'an mille neuf-cent quatre-vingt-douze, puis au mois de février, à aujourd'hui le quinze, la troisième semaine de février ; si nous pensons ensuite au jour, à l'heure, à la minute, à la seconde, à une partie de cette seconde... alors il n'y a pas de présent. Le passé est passé. Après ce moment vient le futur. Il n'y a pas de présent, n'est-ce pas ? Le temps passe sans s'arrêter, il ne fait que passer. C'est pourquoi il n'y a pas de présent. Sans présent nous ne pouvons parler ni de passé ni de futur. Il y a donc confusion ! (Ceci se rapporte au temps vu de l'extérieur.)
Dans l'expérience intérieure, je pense également qu'il n'y a pas de passé ni de futur, seulement l'expérience présente. Et s'il n'y a pas de passé, le présent ne peut survenir, comme le présent dépend entièrement du passé, le futur dépend entièrement du présent. C'est une loi naturelle. Cependant si nous analysons, il n'y a ni passé ni présent ni futur. Il n'y a pas de temps. Lorsque nous parlons de temps, bien sûr, sans aucun doute, le temps existe. Il existe mais pas sans la coopération d'une base d'imputation ou de référence sur laquelle nous pouvons étiqueter le mot "temps" ; nous ne pouvons pas simplement avoir un sens abstrait du temps. Lorsque nous faisons de telles investigations nous n'arrivons pas à trouver quelque chose. En fin de compte nous trouvons quelque chose qui n'est rien : le "vide".
Ce vide n'est pas juste le néant. Non ce n'est pas le néant. Voyez-vous les choses sont interdépendantes. Puisque les choses dépendent les unes des autres, il n'existe pas d'entités indépendantes. Voilà pourquoi lorsque nous examinons la nature ultime de toutes choses, puisque leur nature est de dépendre d'autres facteurs, leur nature est une absence d'existence indépendante. Lorsque nous analysons la nature ultime, elle n'est qu'une simple absence d'existence indépendante. C'est pourquoi nous trouvons quelque chose de vide. Ainsi "vide" signifie "vacuité" ou "absence d'existence indépendante". Et l'absence d'existence indépendante elle-même dépend d'autres facteurs ; c'est pourquoi les choses sont interdépendantes.
Pour conclure, les phénomènes existent. Je suis là, ce n'est pas un rêve, ce n'est pas une illusion. C'est quelque chose de réel. Si je me pince, je ressens de la douleur parce qu'il y a un corps, il y a des doigts et un pouce. Cela fonctionne, c'est une réalité, un fait. Quelque chose existe, cependant nous ne pouvons pas le trouver dans le cadre d'une analyse ultime. C'est pourquoi, ici, vacuité et nature interdépendante sont les deux côtés d'une même pièce.
Puisqu'il y a une sensation, une expérience, puisqu'en réalité il y a production d'expériences négatives ou positives, la conclusion est que, sur la base d'un assemblage de multiples facteurs, nous imputons un nom.
Comme toutes ces différentes expériences existent en dépendance de nombreux facteurs, ces choses surviennent par la combinaison de multiples causes et conditions : c'est à cela que nous attribuons une désignation. C'est pourquoi nous pouvons dire que tous les phénomènes sont produits par leur désignation. C'est le niveau le plus subtil de la signification de l'interdépendance.
Ainsi les points essentiels du bouddhisme sont la non-violence (Skt. ahimsa) et la vue de l'interdépendance. C'est l'essence du bouddhisme. C'est sur ce fondement que le Bouddha exposa le premier sermon des quatre nobles vérités : la vérité de la souffrance, la vérité de l'origine de la souffrance, la vérité de la cessation de la souffrance et la vérité du chemin [qui mène à la cessation de la souffrance]. Le Bouddha enseigna ces quatre nobles vérités parce que nous ne voulons pas souffrir et que la souffrance dépend de causes et de conditions. Voilà pourquoi il expliqua la vérité de l'origine de la souffrance ou des causes et conditions de la souffrance. En d'autres mots, Bouddha nous proposa d'identifier la souffrance ainsi que les causes de ces différents niveaux de souffrances.
Notre but est d'obtenir le bonheur, et encore une fois, celui-ci dépend de ses propres causes. Il existe un bonheur temporaire et un bonheur permanent. Le bonheur permanent est plus important, c'est pourquoi, pour obtenir un bonheur permanent, le Bouddha présenta la troisième noble vérité, c'est-à-dire, la vérité de la cessation ou en d'autres termes, la cessation de la souffrance, la réalisation du nirvana ou état de bonheur. Il expliqua également les causes grâce auxquelles l'état de cessation de la souffrance peut être réalisé, c'est-à-dire la vérité du chemin, L'enseignement des quatre nobles vérités parle du bonheur et de ses causes ainsi que de la douleur, de la souffrance et de ses causes.
Je considère que le but de notre vie est le bonheur. Dès la naissance nous avons le droit d'être heureux et le bonheur permanent doit se développer en nous-mêmes, personne ne peut nous le donner, aucun facteur extérieur ne peut produire ce bonheur permanent. Il doit être accompli par notre propre développement intérieur. C'est pourquoi le Bouddha a enseigné les quatre nobles vérités. Mais voyons comment les intégrer dans notre pratique !
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