Jon Kabat-Zinn: « La pratique de la mindfulness unifie l’être en profondeur »
Alors que la pratique de la mindfulness essaime aux quatre coins de la planète - dans les hôpitaux, les écoles, les entreprises, ou encore les prisons -, son instigateur, Jon Kabat-Zinn, fondateur d’une clinique de réduction du stress, fera ce mois-ci une venue remarquée en Belgique1. En avant-goût, il nous a accordé un long entretien exclusif... en pleine conscience.
Psychologies : Êtes-vous naturellement attentif au présent ou est-ce la mindfulness qui vous a permis de l’être ?
Jon Kabat-Zinn : Je crois que tout enfant est naturellement enraciné dans le présent. Cela disparaît peu à peu quand la pensée prend le dessus, et que notre rythme de vie s’emballe. Mais je ne suis pas venu à la mindfulness en raison du stress ou de la sensation que ma vie était « hors de contrôle ». J’étais plutôt guidé par l’intérêt profond de comprendre la nature de mon propre esprit. J’ai grandi entre un père scientifique et une mère artiste. Très jeune, j’étais déjà intéressé par ces différentes manières d’embrasser le monde. Quand j’ai découvert la méditation, à la vingtaine, j’ai immédiatement reconnu que cela permettait d’unir ces visions, au travers d’un art de vivre, de percevoir le monde et d’interagir avec lui de manière harmonieuse. J’ai réalisé que cela serait très utile pour faire face au stress de la vie courante ; à tout ce qui vient nous fragmenter. Car la pratique de la mindfulness vient unifier l’être en profondeur, dans la conscience profonde que tout est interdépendant. C’est une voie de reliance. De calme, aussi.
Quel a été votre chemin d’exploration de la méditation traditionnelle, venue nourrir l’approche de la mindfulness ?
J.K.-Z. : En 1966, à 22 ans, je suis entré dans une pratique formelle de la méditation par le biais de la tradition Zen japonaise, qui m’a mené ensuite au Zen coréen. L’essence du Zen est identique, et vient de Chine. Les racines sont le Chan, une forme de bouddhisme qui insiste particulièrement sur la méditation. J’ai rencontré de merveilleux Maîtres Chan et Maîtres Zen, et cela a eu une influence considérable sur ma vie. Ensuite, au début des seventies, j’ai pratiqué avec des Maîtres Vipassana d’origine américaine, qui avaient séjourné en Asie, comme Jack Kornfield. Dans la foulée, ils ont développé le Insight Meditation Center (Cambridge, Massachusetts), où j’ai effectué des retraites. Plus récemment, j’ai exploré un autre courant du bouddhisme, le Dzogchen, et j’ai pratiqué avec des Maîtres issus de cette lignée.
Ce sont là, de fait, les trois grands courants du bouddhisme...
J.K.-Z. : Absolument, et j’ai un profond respect pour tous. Ce que j’essaie de faire est de découvrir leur dénominateur commun et de le rendre accessible aux personnes qui jamais ne s’intéresseraient au bouddhisme ou à la méditation bouddhiste, mais qui souffrent énormément : du stress, de troubles physiques et psychiques, de maladie...
Quel est ce dénominateur commun ?
J.K.-Z. : De mon point de vue, c’est précisément la mindfulness, la pleine conscience. Et j’utilise ce mot dans un sens large. À travers cette approche méditative de la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) et de la MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy), nous introduisons les personnes à la pratique du dharma, même si nous n’utilisons pas ce terme. La mindfulness permet d’ouvrir les personnes à une dimension non-duelle de leur être, du monde. C’est un moyen d’introduire ce que le Bouddha enseignait, dans un mode d’expression le plus universel possible. Soit la libération de la souffrance (souffrance ou insatisfaction nommée dukkha dans le bouddhisme), en lien avec la condition humaine. L’enseignement classique du bouddhisme étant complexe, il était important pour moi de mettre en avant une approche qui puisse nous toucher, que l’on soit bouddhiste ou non.
En quoi consiste le programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR) ?
J.K.-Z. : L’idée est de développer un programme au sein même de l’hôpital (véritable « aimant » à dukkha), pour les patients qui ne sont pas pleinement satisfaits des traitements habituels. Un entraînement intensif à la méditation bouddhiste... sans le bouddhisme (ce qui signifie avec le bouddhisme, puisque cette voie n’est pas dualistique !). Il ne s’agit pas pour autant de simplifier ou de tirer le dharma vers le bas, mais de le re-conceptualiser, de le recontextualiser, pour le rendre accessible aux personnes. Proposer ainsi quelque chose que les patients peuvent faire pour eux-mêmes - une sorte d’auto-éducation, en complément des traitements classiques. Ce programme, basé sur de la méditation, du yoga, de la relaxation, se déroule sur huit semaines et aide les patients à faire un travail sur eux-mêmes, sur leur esprit et sur leur relation à la souffrance. Ces programmes de réduction du stress ont à présent élargi leurs champs d’application pour venir en aide à d’autres catégories de population : dans les écoles, les entreprises, les prisons, les maisons de retraite, etc.
C’est une voie de responsabilisation, dans une société plutôt habituée à la prise en charge...
J.K.-Z. : En effet, la pratique de la pleine conscience vient ainsi nous rappeler que nous sommes partie prenante dans notre santé, notre bien-être. Même si la personne est à quelques minutes de la mort. La qualité de notre attention, de notre présence, de notre ouverture de cœur, peut faire une énorme différence : biologiquement, psychologiquement et, si cela vous parle, spirituellement. Au niveau de la paix intérieure. Et le fait de pouvoir accepter les choses comme elles sont ; qui est la vraie définition, dans mon approche, du mot « guérison ». Ce qui ne veut pas dire que l’on aime forcément ce qui nous arrive (personne n’aime l’idée de mourir !), ni que l’on renonce face aux difficultés, mais ça signifie que l’on n’est pas en train de lutter constamment, de manière stérile.
Qu’est-ce que la méditation a éveillé en vous ?
J.K.-Z. : J’ai suivi les pas de mon père, et je suis moi-même devenu scientifique. J’ai donc toujours cherché à comprendre le monde dans lequel je vis, les relations que j’entretiens avec lui. Comprendre aussi la nature de l’esprit. La méditation m’a aidé à cultiver l’attention d’une manière spécifique, qui permet de découvrir la dimension cachée de nos expériences de vie. Cette dimension est là, disponible, mais elle est voilée, parce que nous voyons, nous pensons, nous sentons, nous posons les questions, d’une manière extrêmement conditionnée et limitée. La pratique de la méditation accroît le champ de perception, de compréhension. De prime abord, on pourrait penser que la méditation de la pleine conscience n’a rien d’extraordinaire. Mais en réalité, elle l’est, parce qu’elle nous transforme incroyablement. C’est une façon d’être, non une technique.
Parvenez-vous à rester cohérent avec les principes de la mindfulness, dans un emploi du temps chargé, impliquant des déplacements partout dans le monde ?
J.K.-Z. : C’est ça la réelle pratique de la pleine conscience (rire) ! En fait, je pratique chaque jour. Si j’abandonnais ma propre pratique, si je n’essayais pas, instant après instant, de trouver une sorte d’équilibre et si je négligeais mes valeurs, tout en dispensant de par le monde les principes de la mindfulness, ce serait un désastre ! Le propre de l’équilibre, c’est de le perdre par moment et de le retrouver. Une clé est de trouver un chemin pour dire « non »... à 99% des sollicitations de la vie courante, particulièrement dans notre époque. Par exemple, au lieu de parler avec vous, je pourrais faire mille et une choses, mais j’ai choisi de faire cet entretien, parce que je pense que c’est important - je soutiens le travail fait par l’association Émergences et je me dis que, peut-être, un lecteur sera touché par ce que nous échangeons. Je suis donc pleinement là pour vous répondre. Mais je peux le faire uniquement parce que j’ai dit « non » à d’autres choses. Et je dis beaucoup « non » ! (Rire)
A l'heure actuelle, comment parvenir à cultiver cette pleine conscience?
J.K.-Z. : Mais cela deviendrait toxique, et complètement à l’opposé de l’esprit de la mindfulness, si j’étais complètement « hors de l’équilibre », noyé par les activités et les obligations, sans temps à accorder à d’autres aspects de ma vie. Demain, je vais visiter ma mère qui fête ses 98 ans, elle va rencontrer son arrière-petit-fils pour la première fois. C’est ça qui fait le sel de la vie, sa saveur : quand je suis là, je suis là ! Comme le dit le titre de mon livre : Où tu vas, tu es. Là est tout l’enseignement de la pleine conscience.
Même si cela semble évident, ce n’est pas toujours facile à faire...
J.K.-Z. : Vous avez raison. Cela exige de la pratique. Deux chemins se présentent à nous. D’une part, il y a la pratique formelle ; il s’agit de prendre du temps chaque jour pour s’asseoir et pratiquer la pleine conscience (on peut aussi être couché, ou pratiquer du yoga). D’autre part, vous pouvez pratiquer la pleine conscience n’importe où : dans une chambre d’hôtel, un avion... Mais c’est important de le faire. La seule raison pour laquelle je parviens à le faire tous les jours, c’est parce que c’est une histoire d’amour ! Ce n’est pas une chose de plus que je dois faire. C’est une hygiène active pour la santé de l’esprit que de prendre du temps pour demeurer tranquille, dans le « non-faire ». Mais ce n’est pas, là, la réelle pratique de la méditation. La réelle pratique, c’est la manière dont vous vivez votre vie à chaque instant, en pleine conscience. Dès lors, vous pratiquez dans n’importe quelle circonstance. Je ne dis pas que je le fais mieux que quiconque ; je fais du mieux que je peux. Et ce n’est jamais fini...
Le livre d’Eline Snel4 de méditation de la pleine conscience proposée aux enfants est un succès ; n’est-ce pas là une priorité en regard des troubles de l’attention de plus en plus fréquents chez les enfants ?
J.K.-Z. : Les professeurs, aujourd’hui, réalisent l’importance d’apprendre aux enfants comment être attentifs. Aussi, de plus en plus d’écoles primaires, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, proposent de la mindfulness. Pour jouer un instrument, il y a un apprentissage à faire. C’est la même chose avec le corps et l’esprit : il faut apprendre à les accorder. On y parvient en écoutant profondément les sensations du corps, les pensées, les émotions. En « lisant » ce qu’elles nous disent au moment présent, sans jugement. Les enfants y parviennent facilement... si vous rendez les choses amusantes !
Vous participez à l’événement organisé par Émergences, sur le thème « Se changer soi pour changer le monde » ; pensez-vous que cela soit un préalable indispensable pour une transformation collective ?
J.K.-Z. : Je ne pense pas que ce soit un préalable ou un premier pas, mais bien un processus global. Sinon, on est à nouveau dans la dualité. Si vous changez personnellement, vous avez déjà changé le monde, parce que le monde est complètement interconnecté. Si une personne est un peu plus consciente, aimante, tout l’univers est déjà différent. Certes, de manière minuscule, mais les sciences nous ont démontré que « un petit peu » ce n’est pas insignifiant. Ce n’est pas « rien » ! De petits changements peuvent avoir d’énormes effets sur le monde ; c’est l’image de « l’effet papillon », décrit par Edward Lorenz (Un battement d’ailes de papillon au Brésil produirait une tornade au Texas).
Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
J.K.-Z. : Oui, je suis très optimiste ! Ce qui ne veut pas dire que je ne vois pas tout un tas de dangers pour le futur, mais je pense sincèrement que nous avons ici une formidable opportunité, en tant qu’espèce, de grandir en conscience. En diffusant la mindfulness, j’ai énormément d’occasions de constater que ce mouvement prend racine partout sur la planète de manière exponentielle. C’est vraiment beau ce qui se passe. Ce n’était pas le cas, il y a quarante ans : quasi personne ne méditait, ne faisait du yoga... maintenant, ils sont des millions. Et je crois que les gens le font pour les bonnes raisons. Ils évoluent dans la même direction : plus d’éveil, de conscience, de gentillesse. Et l’enjeu est trop sérieux pour se prendre au sérieux (rire) !
Alors que la pratique de la mindfulness essaime aux quatre coins de la planète - dans les hôpitaux, les écoles, les entreprises, ou encore les prisons -, son instigateur, Jon Kabat-Zinn, fondateur d’une clinique de réduction du stress, fera ce mois-ci une venue remarquée en Belgique1. En avant-goût, il nous a accordé un long entretien exclusif... en pleine conscience.
Psychologies : Êtes-vous naturellement attentif au présent ou est-ce la mindfulness qui vous a permis de l’être ?
Jon Kabat-Zinn : Je crois que tout enfant est naturellement enraciné dans le présent. Cela disparaît peu à peu quand la pensée prend le dessus, et que notre rythme de vie s’emballe. Mais je ne suis pas venu à la mindfulness en raison du stress ou de la sensation que ma vie était « hors de contrôle ». J’étais plutôt guidé par l’intérêt profond de comprendre la nature de mon propre esprit. J’ai grandi entre un père scientifique et une mère artiste. Très jeune, j’étais déjà intéressé par ces différentes manières d’embrasser le monde. Quand j’ai découvert la méditation, à la vingtaine, j’ai immédiatement reconnu que cela permettait d’unir ces visions, au travers d’un art de vivre, de percevoir le monde et d’interagir avec lui de manière harmonieuse. J’ai réalisé que cela serait très utile pour faire face au stress de la vie courante ; à tout ce qui vient nous fragmenter. Car la pratique de la mindfulness vient unifier l’être en profondeur, dans la conscience profonde que tout est interdépendant. C’est une voie de reliance. De calme, aussi.
Quel a été votre chemin d’exploration de la méditation traditionnelle, venue nourrir l’approche de la mindfulness ?
J.K.-Z. : En 1966, à 22 ans, je suis entré dans une pratique formelle de la méditation par le biais de la tradition Zen japonaise, qui m’a mené ensuite au Zen coréen. L’essence du Zen est identique, et vient de Chine. Les racines sont le Chan, une forme de bouddhisme qui insiste particulièrement sur la méditation. J’ai rencontré de merveilleux Maîtres Chan et Maîtres Zen, et cela a eu une influence considérable sur ma vie. Ensuite, au début des seventies, j’ai pratiqué avec des Maîtres Vipassana d’origine américaine, qui avaient séjourné en Asie, comme Jack Kornfield. Dans la foulée, ils ont développé le Insight Meditation Center (Cambridge, Massachusetts), où j’ai effectué des retraites. Plus récemment, j’ai exploré un autre courant du bouddhisme, le Dzogchen, et j’ai pratiqué avec des Maîtres issus de cette lignée.
Ce sont là, de fait, les trois grands courants du bouddhisme...
J.K.-Z. : Absolument, et j’ai un profond respect pour tous. Ce que j’essaie de faire est de découvrir leur dénominateur commun et de le rendre accessible aux personnes qui jamais ne s’intéresseraient au bouddhisme ou à la méditation bouddhiste, mais qui souffrent énormément : du stress, de troubles physiques et psychiques, de maladie...
Quel est ce dénominateur commun ?
J.K.-Z. : De mon point de vue, c’est précisément la mindfulness, la pleine conscience. Et j’utilise ce mot dans un sens large. À travers cette approche méditative de la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) et de la MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy), nous introduisons les personnes à la pratique du dharma, même si nous n’utilisons pas ce terme. La mindfulness permet d’ouvrir les personnes à une dimension non-duelle de leur être, du monde. C’est un moyen d’introduire ce que le Bouddha enseignait, dans un mode d’expression le plus universel possible. Soit la libération de la souffrance (souffrance ou insatisfaction nommée dukkha dans le bouddhisme), en lien avec la condition humaine. L’enseignement classique du bouddhisme étant complexe, il était important pour moi de mettre en avant une approche qui puisse nous toucher, que l’on soit bouddhiste ou non.
En quoi consiste le programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR) ?
J.K.-Z. : L’idée est de développer un programme au sein même de l’hôpital (véritable « aimant » à dukkha), pour les patients qui ne sont pas pleinement satisfaits des traitements habituels. Un entraînement intensif à la méditation bouddhiste... sans le bouddhisme (ce qui signifie avec le bouddhisme, puisque cette voie n’est pas dualistique !). Il ne s’agit pas pour autant de simplifier ou de tirer le dharma vers le bas, mais de le re-conceptualiser, de le recontextualiser, pour le rendre accessible aux personnes. Proposer ainsi quelque chose que les patients peuvent faire pour eux-mêmes - une sorte d’auto-éducation, en complément des traitements classiques. Ce programme, basé sur de la méditation, du yoga, de la relaxation, se déroule sur huit semaines et aide les patients à faire un travail sur eux-mêmes, sur leur esprit et sur leur relation à la souffrance. Ces programmes de réduction du stress ont à présent élargi leurs champs d’application pour venir en aide à d’autres catégories de population : dans les écoles, les entreprises, les prisons, les maisons de retraite, etc.
C’est une voie de responsabilisation, dans une société plutôt habituée à la prise en charge...
J.K.-Z. : En effet, la pratique de la pleine conscience vient ainsi nous rappeler que nous sommes partie prenante dans notre santé, notre bien-être. Même si la personne est à quelques minutes de la mort. La qualité de notre attention, de notre présence, de notre ouverture de cœur, peut faire une énorme différence : biologiquement, psychologiquement et, si cela vous parle, spirituellement. Au niveau de la paix intérieure. Et le fait de pouvoir accepter les choses comme elles sont ; qui est la vraie définition, dans mon approche, du mot « guérison ». Ce qui ne veut pas dire que l’on aime forcément ce qui nous arrive (personne n’aime l’idée de mourir !), ni que l’on renonce face aux difficultés, mais ça signifie que l’on n’est pas en train de lutter constamment, de manière stérile.
Qu’est-ce que la méditation a éveillé en vous ?
J.K.-Z. : J’ai suivi les pas de mon père, et je suis moi-même devenu scientifique. J’ai donc toujours cherché à comprendre le monde dans lequel je vis, les relations que j’entretiens avec lui. Comprendre aussi la nature de l’esprit. La méditation m’a aidé à cultiver l’attention d’une manière spécifique, qui permet de découvrir la dimension cachée de nos expériences de vie. Cette dimension est là, disponible, mais elle est voilée, parce que nous voyons, nous pensons, nous sentons, nous posons les questions, d’une manière extrêmement conditionnée et limitée. La pratique de la méditation accroît le champ de perception, de compréhension. De prime abord, on pourrait penser que la méditation de la pleine conscience n’a rien d’extraordinaire. Mais en réalité, elle l’est, parce qu’elle nous transforme incroyablement. C’est une façon d’être, non une technique.
Parvenez-vous à rester cohérent avec les principes de la mindfulness, dans un emploi du temps chargé, impliquant des déplacements partout dans le monde ?
J.K.-Z. : C’est ça la réelle pratique de la pleine conscience (rire) ! En fait, je pratique chaque jour. Si j’abandonnais ma propre pratique, si je n’essayais pas, instant après instant, de trouver une sorte d’équilibre et si je négligeais mes valeurs, tout en dispensant de par le monde les principes de la mindfulness, ce serait un désastre ! Le propre de l’équilibre, c’est de le perdre par moment et de le retrouver. Une clé est de trouver un chemin pour dire « non »... à 99% des sollicitations de la vie courante, particulièrement dans notre époque. Par exemple, au lieu de parler avec vous, je pourrais faire mille et une choses, mais j’ai choisi de faire cet entretien, parce que je pense que c’est important - je soutiens le travail fait par l’association Émergences et je me dis que, peut-être, un lecteur sera touché par ce que nous échangeons. Je suis donc pleinement là pour vous répondre. Mais je peux le faire uniquement parce que j’ai dit « non » à d’autres choses. Et je dis beaucoup « non » ! (Rire)
A l'heure actuelle, comment parvenir à cultiver cette pleine conscience?
J.K.-Z. : Mais cela deviendrait toxique, et complètement à l’opposé de l’esprit de la mindfulness, si j’étais complètement « hors de l’équilibre », noyé par les activités et les obligations, sans temps à accorder à d’autres aspects de ma vie. Demain, je vais visiter ma mère qui fête ses 98 ans, elle va rencontrer son arrière-petit-fils pour la première fois. C’est ça qui fait le sel de la vie, sa saveur : quand je suis là, je suis là ! Comme le dit le titre de mon livre : Où tu vas, tu es. Là est tout l’enseignement de la pleine conscience.
Même si cela semble évident, ce n’est pas toujours facile à faire...
J.K.-Z. : Vous avez raison. Cela exige de la pratique. Deux chemins se présentent à nous. D’une part, il y a la pratique formelle ; il s’agit de prendre du temps chaque jour pour s’asseoir et pratiquer la pleine conscience (on peut aussi être couché, ou pratiquer du yoga). D’autre part, vous pouvez pratiquer la pleine conscience n’importe où : dans une chambre d’hôtel, un avion... Mais c’est important de le faire. La seule raison pour laquelle je parviens à le faire tous les jours, c’est parce que c’est une histoire d’amour ! Ce n’est pas une chose de plus que je dois faire. C’est une hygiène active pour la santé de l’esprit que de prendre du temps pour demeurer tranquille, dans le « non-faire ». Mais ce n’est pas, là, la réelle pratique de la méditation. La réelle pratique, c’est la manière dont vous vivez votre vie à chaque instant, en pleine conscience. Dès lors, vous pratiquez dans n’importe quelle circonstance. Je ne dis pas que je le fais mieux que quiconque ; je fais du mieux que je peux. Et ce n’est jamais fini...
Le livre d’Eline Snel4 de méditation de la pleine conscience proposée aux enfants est un succès ; n’est-ce pas là une priorité en regard des troubles de l’attention de plus en plus fréquents chez les enfants ?
J.K.-Z. : Les professeurs, aujourd’hui, réalisent l’importance d’apprendre aux enfants comment être attentifs. Aussi, de plus en plus d’écoles primaires, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, proposent de la mindfulness. Pour jouer un instrument, il y a un apprentissage à faire. C’est la même chose avec le corps et l’esprit : il faut apprendre à les accorder. On y parvient en écoutant profondément les sensations du corps, les pensées, les émotions. En « lisant » ce qu’elles nous disent au moment présent, sans jugement. Les enfants y parviennent facilement... si vous rendez les choses amusantes !
Vous participez à l’événement organisé par Émergences, sur le thème « Se changer soi pour changer le monde » ; pensez-vous que cela soit un préalable indispensable pour une transformation collective ?
J.K.-Z. : Je ne pense pas que ce soit un préalable ou un premier pas, mais bien un processus global. Sinon, on est à nouveau dans la dualité. Si vous changez personnellement, vous avez déjà changé le monde, parce que le monde est complètement interconnecté. Si une personne est un peu plus consciente, aimante, tout l’univers est déjà différent. Certes, de manière minuscule, mais les sciences nous ont démontré que « un petit peu » ce n’est pas insignifiant. Ce n’est pas « rien » ! De petits changements peuvent avoir d’énormes effets sur le monde ; c’est l’image de « l’effet papillon », décrit par Edward Lorenz (Un battement d’ailes de papillon au Brésil produirait une tornade au Texas).
Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
J.K.-Z. : Oui, je suis très optimiste ! Ce qui ne veut pas dire que je ne vois pas tout un tas de dangers pour le futur, mais je pense sincèrement que nous avons ici une formidable opportunité, en tant qu’espèce, de grandir en conscience. En diffusant la mindfulness, j’ai énormément d’occasions de constater que ce mouvement prend racine partout sur la planète de manière exponentielle. C’est vraiment beau ce qui se passe. Ce n’était pas le cas, il y a quarante ans : quasi personne ne méditait, ne faisait du yoga... maintenant, ils sont des millions. Et je crois que les gens le font pour les bonnes raisons. Ils évoluent dans la même direction : plus d’éveil, de conscience, de gentillesse. Et l’enjeu est trop sérieux pour se prendre au sérieux (rire) !
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